Dès qu’il y a moyen de se faire un paquet de thunes, ils sont là. Qui ? Les investisseurs. Les fonds d’investissement. Les VC. Est-ce un problème en soi ? Pas vraiment. Les entreprises ont besoin de fonds pour se développer et les investisseurs ont besoin d’entrepreneurs pour faire fructifier leur argent. En principe, c’est un échange équitable. Sauf que, parfois, ça dérape.
Prenons l’exemple de Jean et sa troupe. Entrepreneurs dans un secteur hyper rentable (confidentiel, désolé !), ils sont devenus la cible idéale des investisseurs.
Comme d’habitude, les fondateurs veulent le plus d’argent possible avec le moins de dilution possible. Leurs objectifs sont clairs : développer l’entreprise à l’international et surtout rester majoritaires.
Alors, quand un fonds les approche, leur mantra devient très vite « rester majoritaire ». C’est leur crainte, devenir minoritaire dans le capital social de leur propre boîte. On leur explique bien que détenir plus de 50% du capital ne signifie rien si, en réalité, ils perdent le contrôle politique et financier. Mais leur ambition démesurée les pousse à accepter un deal contre l’avis de leur conseil :
- Entrée à 30% de l’investisseur au capital pour 15 millions d’euros
- Transformation de la société en SAS
- Émission d’actions de préférence avec des droits particuliers au profit de l’investisseur (les « ADP »)
C’est quoi des « ADP » ?
*Sortez les claviers*
Dans une SAS, le capital social est divisé en actions. Jusque-là, facile.
Ces actions sont par principe des actions dites ordinaires – en gros des actions standards. Chaque détenteur d’une action ordinaire a des droits classiques tels que :
– Droit de vote lors des assemblées
– Droit de percevoir des dividendes en fonction des bénéfices et a du proportion de ce que vous détenez dans le capital (après que ceux qui ont des ADP soient payés)
– En cas de liquidation, les associés seront remboursés de leur mise de départ (après les détenteurs d’ADP 😉)
Illustration simple : vous avez 30% du capital, vous pouvez dans la plupart des cas prétendre à 30% du montant des bénéfices distribuables, du boni de liquidation, du prix de vente de la société etc.
Alors que les ADP sont des actions qui offrent des avantages par rapport aux actions ordinaires (PS : ça peut aussi être des “avantages négatifs” (des inconvénients quoi) mais ici on n’est pas là pour entrer dans les détails des outils juridiques – notre but c’est que vous captiez les principes).
Par exemple, les détenteurs d’ADP peuvent avoir un droit de vote double ; recevoir des dividendes prioritaires, une priorité en cas de liquidation de la boîte ou d’exit etc.
On peut imaginer énormément de mécanismes avec les ADP.
En résumé, des ADP ça offre beaucoup plus de sécurité et des avantages financiers spécifiques. Pratique, quand on veut effacer l’aléa entrepreneurial.
Oui, avec des ADP on peut s’arranger pour ne jamais perdre.
Les ADP peuvent donc devenir des actions à super-privilèges (un peu comme le super-privilège du fisc qui se sert dans les poches de tout le monde et avant tout le monde).
*Rangez les claviers*

La LOI* semble rassurante pour Jean & co avec des termes comme :
« Notre valorisation repose sur les atouts et le potentiel de développement de [votre société], votre volonté de rester majoritaires au sein de l’entreprise, la pérennité des relations commerciales que vous avez su bâtir et un Business Plan ambitieux… »
Sauf que…
… les co-fondateurs détiennent 70% du capital social (en actions ordinaires) versus 30% pour l’investisseur (en ADP),
Les ADP octroient à l’investisseur des droits importants, leur permettant de capter l’essentiel de la valeur créée. En bref, Jean et ses amis travaillent pour que près de 90% des bénéfices reviennent aux investisseurs, à travers les dividendes, réserves, primes, et autres distributions.
Dans leur cas, c’est ça l’effet des ADP qui ont été émis par la société au profit de l’investisseur contre son investissement.
Aujourd’hui, Jean et ses amis ont le seum devant leur tableau Excel qui illustre la réalité crue :
Prenons l’exemple d’un un bénéfice distribué de 100 euros :
· l’investisseur reçoit 3 fois plus : 90 euros au lieu de 30 euros (vu qu’il détient seulement 30% des parts et que sauf clauses contraires on reçoit en fonction de ce qu’on détient dans la boîte), soit un accroissement de près de 200 %,
· les fondateurs reçoivent 600 fois moins : 10 euros au lieu de 70 euros, soit une réduction de plus de 85 %.
Et nous, ça nous met le seum aussi.
Et vous savez quoi ? Ces pratiques déséquilibrées sont très certainement contraires au droit des sociétés.
Retenez bien ça : le droit des sociétés interdit à un associé de se tailler la part du lion. En termes juridiques on appelle ça l’interdiction de bénéficier de clauses léonines (lion / léonine : facile à retenir).
Nous, on se demande bien jusqu’à quand les entrepreneurs vont accepter de telles pratiques alors qu’ils ont potentiellement le droit de leurs côtés et pourraient potentiellement faire péter des deals totalement déséquilibrés ou a minima faire trembler ceux qui se croient tout permis.
Alors, quand vous négocierez votre levée de fonds, défendez-vous.
Jean & co ont décidé de se défendre, mieux vaut tard que jamais.
A suivre.
*LOI signifie « Letter of Intent » (Lettre d’intention). C’est un document non contraignant qui exprime l’intention des parties de conclure un accord spécifique, en énonçant les principaux termes et conditions de l’investissement proposé.