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1. M&A, la clause de garantie à 480.000 euros

Mardi 11h12 : l’email surgit dans la boite de douze destinataires.

« Objet : Mise en jeu de la garantie d’actif et de passif – […] »

Montant réclamé : 480.000 euros.

L’email arrive onze mois après le closing.

En face, Herminie. Elle ne comprend pas.

D’abord sidérée. Puis un peu en colère.
Elle s’agite.

C’est forcément une erreur des avocates en face.


Pour elle, cette réclamation n’a aucun sens. Elle est persuadée d’avoir tout dévoilé. Tout dit. Tout montré. Elle et son équipe ont passé un mois à répondre aux questions des avocates, des auditeurs financiers, à transmettre des documents, à vivre le rythme intense d’une opération de haut bilan. Elle a supporté les caprices de l’acheteur, du DAF et de leurs conseils qui se prenaient pour des rockstars selon elle.

Elle se souvient encore de ses soirées angoissantes à imaginer « et si ça ne se faisait pas et qu’on repartait de 0 ? »

Vendre cette entreprise, c’était l’occasion rêvée de tout recommencer. Laisser derrière elle son partenaire de PACS, ses voisins à la moralité flexible, et cette vie parisienne qui ne lui ressemblait plus. À Annecy, elle se voyait déjà faire le tour du lac en vélo électrique, respirer, se purifier — devenir, enfin, une bonne personne.

Et voilà qu’on lui lance cette somme en pleine face ?

Elle se refait le film.


Raoul a acquis la société onze mois plus tôt. Une pépite de moins en moins discrète qui était en concurrence directe avec l’entreprise de Raoul. Ce rachat lui a d’ailleurs permis de « killer un concurrent » et gagner du terrain.

L’acquisition s’est faite au prix initial de 2.300.000 euros (« initial » car il y a en sus une clause d’ « earn-out » = complément de prix ).

Le cabinet M&A qui accompagnait Raoul lui avait recommandé un audit red flag ciblé. Ses avocates trouvaient cela vraiment « touchy », vu les enjeux, mais trop cher pour Raoul. Il voulait aller vite.

Raoul a de l’expérience. Ancien directeur financier de grands groupes, il est familier des opérations de croissance externe. Il avait conscience de l’existence de subtilités d’une garantie d’actif passif et en avait beaucoup parlé avec ses avocates.

Après de longues discussions pendant l’audit, il savait déjà qu’il voulait pouvoir activer la garantie d’actif passif (la « GAP ») le moment venu.

La GAP est un mécanisme par lequel le vendeur s’engage à indemniser l’acheteur si, après la cession, l’entreprise révèle un passif non déclaré ou un actif manquant par rapport aux déclarations faites lors de la vente.

Post-closing, les mauvaises surprises s’enchaînent :

  • Un client stratégique met fin au contrat, en invoquant une clause de changement de contrôle présente dans le contrat (c’est une clause critique en M&A par laquelle une partie peut sortir du contrat si la société change de contrôle).
  • Une régularisation URSSAF tombe.
  • Un fournisseur détecte un usage non conforme sur une licence, coupe l’accès à sa base de données,
    et déclenche une crise opérationnelle coûteuse pour l’entreprise.

Total des sommes réclamées : 480.000 euros

Pourtant, Raoul avait fait un audit.

Tous ces sinistres étaient prévisibles : ils étaient documentés dans la dataroom.

Et Herminie, elle, n’avait rien caché.

Le risque URSSAF ?

Discuté.
Provisionné.
Pris en compte dans le prix.

La base de données ?

L’équipe tech avait laissé des notes limpides.

Tout le monde savait qu’il fallait « renégocier une licence conforme aux conditions d’utilisation opérationnelles ».

Aujourd’hui, Raoul dit qu’il l’ignorait — au moins en partie.
Herminie, elle, répète inlassablement : « tout était dans la dataroom ».

Elle énumère les documents, les tableaux, les échanges.

« si ses avocates ne les ont pas lus, ce n’est pas mon problème ».

Difficile de croire que ces risques n’aient pas été identifiés par les avocates de l’acheteur.

Alors la question est là :

Raoul peut-il vraiment activer la garantie sur des risques qu’il ne pouvait pas ignorer ?

La clause de garantie — une clause standard — ne disait rien sur ce point.
Rien sur les informations connues ou disponibles.

L’avocat d’Herminie monte au créneau :

Monsieur Raoul a eu accès à toutes les informations, il a mené son audit, il ne peut pas aujourd’hui revenir faire son oin oin pour un point qu’il aurait dû voir.”

Sauf que Raoul s’appuie sur la formulation magique qui a été insérée par son avocate dans la GAP :

“À l’exception des informations figurant dans les annexes illustrant les Déclarations, aucune information relative à la Société, connue ou non du Cessionnaire, ne saurait limiter ou exclure la mise en jeu de la présente garantie.”

Silence dans la salle de visioconférence.

Les parties se donnent rendez-vous dans quelques jours, le temps d’éplucher à nouveau les documents.


Qu’en était-il ?

Ce qui était dans la data room n’était pas dans les annexes aux déclarations.

Et sans clause contraire, la jurisprudence actuelle penche du côté de Raoul (cf. infra point 2). Une garantie d’actif-passif est une garantie objective, peu importe ce que le cessionnaire savait ou aurait dû savoir. Sinon, autant ne pas en faire.

Herminie accuse le coup.

Son avocat propose un arrangement : on coupe la poire en deux.

L’avocate de Raoul lui répondra :

« ce n’est pas de la négo confrère, c’est du droit ».

Le genre de punchline qu’on garde sous le coude pour 11h59, quand le déjeuner devient prioritaire.

2. Temps Technique : Audits, garanties, et état de connaissance de l’acquéreur – que dit vraiment le droit ?

Si vous êtes vendeur, ne partez jamais du principe que l’audit mené par l’acquéreur ou ses avocats vous protège automatiquement.

La jurisprudence la plus récente considère que la garantie de passif est indépendante de l’état de connaissance du cessionnaire, sauf clause expresse contraire.

Pendant un temps, les tribunaux estimaient que si l’acheteur savait que la société rencontrait des difficultés — ou si le prix avait été ajusté pour en tenir compte — il ne pouvait pas activer la garantie.

Certains allaient même jusqu’à lui reprocher de ne pas s’être suffisamment renseigné avant d’acheter.

Mais cette position a évolué : aujourd’hui, la tendance est claire — la garantie joue même si l’acheteur connaissait le problème.

(Et si vous êtes dans la situation inverse, ne désespérez pas. Rien n’est jamais perdu d’avance, surtout en droit – faites analyser votre situation et détendez-vous).

Même sans clause spécifique, la garantie d’actif et de passif fonctionne de manière objective :

elle s’applique indépendamment du fait que l’acheteur ait eu ou non connaissance (réelle ou supposée) du problème — qu’il s’agisse d’un passif caché ou d’un défaut d’actif.

Et il y a une certaine logique : si l’on considérait qu’un acheteur informé ne peut pas invoquer la garantie, alors l’audit d’acquisition perdrait tout intérêt — puisqu’il révélerait précisément les problèmes qu’il ne pourrait ensuite plus soulever.

D’où l’intérêt de faire une VDD (vendeur due diligence) avant de vendre car dans de nombreux cas l’acquéreur ne vous révèlera pas le contenu de son rapport d’audit.

En tout état de cause, si vous êtes vendeur pour vous protéger :

  • Intégrez une clause de connaissance : précisez que les informations connues ou accessibles ne peuvent pas fonder de réclamation.
  • Annexez-la dans la data room (ou au moins un index certifié) à l’acte de cession (SPA), ainsi dans que les sessions de questions/réponses (Q&A) si possible.
  • Soyez attentif aux annexes illustrant les déclarations que vous formulez : tout ce qui n’y figure pas pourra se retourner contre vous.
  • Divulguez les risques connus (disclosure) : cela peut peser sur la valorisation, mais c’est la meilleure protection. D’où l’intérêt de faire auditer votre société avant la vente, pour identifier et corriger les failles avant qu’elles ne deviennent un argument de l’acquéreur.

Et si vous êtes acquéreur, vous avez intérêt à intégrer ce type de clause :

“Le cessionnaire pourra agir en garantie indépendamment de toute information qu’il aurait pu obtenir lors de ses diligences préalables.”

Et pour les plus techniciens de nos lecteurs : quid du devoir d’information (article 1112-1 du Code civil) ?

L’article 1112-1 du code civil dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

Il s’agit d’une disposition d’ordre public qu’il n’est pas possible d’exclure ou de limiter contractuellement par les parties. Le manquement au devoir d’information est ainsi sanctionné par des dommages et intérêts, voire par la nullité du contrat en cas de dol ou d’erreur.

En pratique, il est illusoire pour le vendeur de faire déclarer à l’acheteur qu’il s’est « suffisamment informé » et qu’il ne connaît aucune information justifiant la mise en jeu de la garantie.

L’acheteur pourra toujours invoquer l’article 1112-1 du code civil pour agir (actuellement, à l’heure où nous rédigeons cet article).

D’où l’importance, pour le vendeur, de conserver la preuve du respect de son devoir d’information — sans que cela soit totalement exonératoire, c’est au moins une défense solide.

En somme : ne vous précipitez pas dans la rédaction d’un SPA et de sa GAP.
Prenez le temps de réfléchir et négocier leurs termes avec votre avocat, selon la partie que vous défendez.

Le plus difficile, dans la protection du vendeur, c’est de tenir face à l’acquéreur, convaincu, comme toujours, d’avoir la main. Mais ça, ça dépend beaucoup de vous.

« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Étienne de La Boétie