1. La photo de trop
Après 4 ans d’existence, la refonte du site internet de Boostly est une étape importante.
Nouveau wording.
Nouvelle direction artistique.
Et surtout : un nouvel onglet “Nos prestations” flambant neuf, avec quelques visages-clés de l’équipe.
Eulalie, Customer Success Manager, apparait dans la rubrique « un SAV exceptionnel ».
On la voit en veste et chemise blanche, sourire éclatant, regardant son téléphone depuis la salle de réunion.
La photo est validée collectivement. Eulalie met aussi un 👍sur le canal Slack de l’équipe quand on lui demande sa validation finale.
Un an plus tard, elle quitte Boostly.
Sa demande de rupture conventionnelle est refusée.
La fin de la collaboration est tendue.
Mais Eulalie rebondit vite et retrouve un poste ailleurs, encore mieux que dans ses rêves les plus secrets. Malgré tout, Eulalie garde le souvenir d’une aventure riche chez Boostly.
Elle passe à autre chose.
Deux ans plus tard, elle voit un post sur la page LinkedIn entreprise de Boostly. Sa tête est en premier plan pour illustrer l’offre de Boostly : « un support humain, disponible et réactif ».
Un lien renvoie vers la page « Nos prestations ». Sa photo y est également toujours.

Elle voit ça comme une opportunité de reprendre attache avec Raoul, son ancien CEO, pour lui demander de retirer la photo et lui proposer un café.
Elle envoie un email sobre. Objet : « News et suppression de mon image ».
La réponse qu’elle reçoit n’est pas celle qu’elle espérait :
« Tu faisais partie de l’équipe à l’époque. Tu as validé la photo, il n’y a rien d’illégal. »
Eulalie pleure en recevant cette réponse sans pouvoir s’arrêter, d’humiliation et de colère.
Elle finit par respirer, essaie de ne plus penser à la rancœur, déçue d’avoir imaginé qu’il serait possible de tourner la page avec élégance.
Alors son amie Jeanne lui dit de prendre une avocate. Elle dit qu’Eulalie a voulu fermer les yeux, mais qu’elle a toujours su que la façon dont ça s’était terminé avec Boostly n’était pas propre. Elle finit par « ils t’ont refusé une rupture co, tu viens de trouver l’occasion parfaite de les faire raquer et récupérer le chômage que tu n’as jamais pu toucher ».
Ce soir-là, Eulalie et Jeanne rédigent ensemble un email de demande d’accompagnement à l’avocate.
Quatre jours plus tard, la mise en demeure en RAR est envoyée. Elle demande 15.000€ pour l’utilisation de son image sans autorisation.
Puis, vient l’assignation.
Côté Boostly, l’ambiance est la suivante :
— « C’était public, elle l’avait validée ! »
— « Attends, elle savait très bien qu’elle était prise en photo pour le site ! »
— « Elle n’avait qu’à le dire avant! »
Mais l’échange qui s’en suit avec leur avocat suffit à les convaincre de retirer la photo du site et de toutes les communications.
Les modifications sont faites dans la semaine et le changement est confirmé à l’avocat d’Eulalie par écrit.
Pour autant, Eulalie ne se désiste pas de sa demande devant les tribunaux.
Alors quand arrive enfin le jour de l’audience, Raoul se réjouit d’avance de voir Eulalie condamnée à lui rembourser ses frais d’avocats pour procédure abusive. Pour lui, ce contentieux n’est pas comme un autre. Ce qui se joue c’est sa revanche. Il n’a jamais digéré le fait qu’Eulalie soit partie.
Un mardi matin à 9 heures tapantes, Raoul reçoit l’appel tant attendu de son avocat pour lui annoncer la décision des juges.
En raccrochant, Raoul n’appelle pas son équipe finance, il ouvre lui-même l’application bancaire de sa société.
La satisfaction d’en finir avec cette histoire n’est pas parvenue à interrompre le tremblement de ses doigts lorsqu’il a cliqué sur « virement instantané », « 10.000€ », bénéficiaire : « Eulalie ».
Raoul n’a plus jamais organisé un shooting photo de ses salariés. Toutes les images sur son site internet sont désormais générées par l’IA (mais ça, c’est une autre histoire).
2. Le temps technique : sous quelles conditions utiliser l’image de ses salariés ?
Toute diffusion de l’image d’un salarié doit être encadrée par un accord écrit et spécifique.
Pas de message Slack. Pas de mail flou. Pas de “elle était d’accord, je te jure”.
Prévoyez systématiquement un formulaire écrit de cession du droit à l’image, signé avant chaque shooting, qui précise :
- Quels supports sont concernés (site web, plaquette, réseaux sociaux…),
- Quels usages : uniquement interne, à des finalités commerciales…,
- Pour quelle durée, et éventuellement ce qu’il advient en cas de départ,
- Le périmètre géographique : utilisation en France, en Europe, dans le monde…
- Si la cession est faite à titre gratuite ou rémunérée.
Pourquoi c’est important ?
Même si la photo est ensuite supprimée, un salarié ou ancien salarié peut obtenir réparation si son image a été utilisée sans autorisation explicite.
Et pas besoin de prouver un “préjudice”, la seule atteinte aux droits à l’image suffit. La Cour de cassation l’a reconnu à plusieurs reprises : Cass. soc. 19 janv. 2022, n°20-12.420 ; Cass. soc. 14 févr. 2024, n°22-18.014.
C’est simple à anticiper, mais lourd à défendre une fois que c’est en ligne.