1. L’un voulait vendre, l’autre voulait comprendre
Clodomir dirige ThermiQ, une entreprise spécialisée dans les solutions d’optimisation énergétique industrielle.
Après dix années d’investissement personnel, il décide de vendre.
À la tête d’un groupe concurrent, Raoul se manifeste comme acquéreur potentiel.
Raoul n’est pas très bavard. Il avance des arguments classiques : stratégie de croissance externe, respect de la culture d’entreprise, complémentarité des offres. Clodomir y voit une opportunité cohérente et rassurante.
Une lettre d’intention est signée, c’est-à-dire le document que deux entreprises signent pour dire qu’elles sont d’accord sur l’idée de faire un deal. Les due diligences commencent. Il s’agit du processus d’audit approfondi réalisé en amont d’une acquisition ou d’un investissement pour identifier les risques et valoriser correctement l’actif.
Rapidement, les demandes à l’égard de ThermiQ s’accumulent :
– Données commerciales,
– Tarification détaillée,
– Présentation des logiciels internes,
– Roadmap produits,
– Données RH,
– Liste des fournisseurs stratégiques.
Tout va très vite. C’est la réputation du M&A : ça va vite et on met beaucoup de pression.
Mais Clodomir n’aime pas trop qu’on lui mette la pression.
Le conseiller M&A le rassure : ces demandes sont classiques. Et pour avancer, il faut jouer le jeu et son modèle classique de « NDA » (engagement de confidentialité) a été signé.

Quatre semaines plus tard, Raoul informe qu’il « ne souhaite pas poursuivre les discussions ». Les justifications sont courtes et nébuleuses.
Toutes les tentatives de réouverture des discussions échouent.
Clodomir encaisse. Et continue son process avec d’autres repreneurs.
Mais quelques mois plus tard, des signaux inquiétants émergent.
Un client stratégique l’appelle : il vient de recevoir une offre d’un concurrent — PowerLytix, dirigé par Raoul — avec une solution quasiment identique, mieux tarifée.
Un fournisseur informe avoir été approché pour « proposer les mêmes conditions que ThermiQ ».
Trois salariés stratégiques démissionnent sur le même quarter.
Et sur LinkedIn, Clodomir découvre que PowerLytix vient de lancer une nouvelle offre sur son propre segment de marché.
Le projet de rachat n’était peut-être qu’une façade.
Le véritable objectif, était (peut-être) d’accéder à l’information. De reconstituer les forces, les marges, les leviers. Puis de s’en inspirer pour lancer une offensive commerciale.
En tout cas, ce projet de rachat a permis d’accéder à certaines informations stratégiques de l’entreprise de Clodomir.
Avec une avocate, ils relisent la lettre d’intention (LOI), le NDA (l’engagement de confidentialité).
Tout est propre, en apparence.
Mais aucun mécanisme de protection pendant toutes les étapes pré et post-deal n’a été réellement prévu.
Clodomir pourrait engager une action mais prouver un détournement intentionnel d’informations économiques relève du parcours du combattant.
Et dans l’intervalle, la valeur perçue de ThermiQ baisse. Ses partenaires doutent. Ses salariés s’inquiètent.
Quelques mois plus tard, il cède à un industriel régional, à un prix 25 % inférieur aux premières estimations.
2. Le temps technique : Protégez vos données, même quand le deal ne se fait pas
Lorsqu’un concurrent manifeste un intérêt pour le rachat de votre société, soyez vigilant. Derrière une démarche en apparence stratégique, certains acquéreurs peuvent chercher à obtenir des informations sensibles sous couvert de due diligence, sans réelle intention de conclure.
Parfois, nous sentons rapidement des acquéreurs peu sérieux mais ce n’est pas un domaine où il existe une science exacte.
Voici quelques pratiques pour se protéger :
- Encadrer les relations avec un engagement de confidentialité adapté
Un NDA standard ne suffit pas entre concurrents.
L’accord doit être taillé pour votre activité et votre techno, afin d’éviter tout usage dévoyé des infos partagées.
Les clauses clés minimales :
• Usage limité des informations à l’évaluation du deal ;
• Interdiction d’usage concurrentiel ou commercial ;
• Non-sollicitation des équipes, clients, fournisseurs ;
• Restitution/destruction des informations en fin de discussions ;
• Pénalités si violation.
Donnez du contexte à votre acte. N’hésitez pas à rédiger les particularités de votre situation. Contractualisez la situation telle qu’elle est réelle, ne signez pas qu’un modèle interchangeable et réfléchissez aux éléments qui pourront vous permettre d’avoir des éléments de preuve irréfutables en cas de déloyauté du potentiel acquéreur.
Bien évidemment même bien rédigé, le NDA ne protège pas tout : le vrai enjeu reste de prouver l’usage déloyal d’informations par un concurrent. D’où l’importance de verrouiller partout où c’est possible
- Ouvrez progressivement et contrôlez l’accès aux informations
L’accès aux données peut être progressif et conditionné à l’avancement du projet.
Il est même possible d’envisager que certaines informations ne seront communiquées qu’en toute fin de processus ou confirmées au moment de la clôture.
Exemples de séquençage :
- Phase initiale (avant LOI) : présentation générale et données financières agrégées ;
- Phase intermédiaire (après LOI) : informations opérationnelles ciblées, sans éléments stratégiques sensibles ;
- Phase finale (due diligence avancée) : ouverture élargie, réservée à un acquéreur disposant d’un financement validé et engagé formellement.
L’utilisation d’une data room sécurisée (avec droits d’accès, journalisation, et contrôle des téléchargements) n’empêche pas tout détournement, mais constitue un signal fort de maîtrise et de sérieux.
Le fonctionnement par paliers a un autre avantage : plus l’acquéreur avance dans le processus, plus il investit de ressources, et moins il est probable qu’il agisse à des fins purement exploratoires.
- Formaliser les négociations dans une lettre d’intention
La LOI ne se limite pas à un simple accord d’intention : elle doit aussi encadrer juridiquement la négociation.
Outre les clauses du NDA, elle peut prévoir, selon le contexte, des interdictions temporaires — par exemple, ne pas développer un produit ou un segment identique si le deal n’aboutit pas.
- Détecter les signaux d’un acquéreur non sincère
Certaines attitudes doivent alerter très tôt :
- L’absence de discussion concrète sur le prix ou les modalités de financement ;
- Des demandes prématurées portant sur des informations stratégiques (clients, marges, technologie) ;
- La volonté d’accéder directement aux équipes ou aux partenaires ;
- Le refus ou le report répété de la signature d’un NDA ou d’une LOI ;
- L’incapacité à répondre favorablement à des propositions de solutions / de compromis et sans contrepropositions raisonnables
Ces indices, pris isolément, ne suffisent pas toujours à écarter un acquéreur, mais leur combinaison justifie de ralentir le processus et de resserrer le contrôle de l’information.


