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1. L’homme qui croyait qu’une convention de trésorerie entre sociétés pouvait tout justifier

La convention de trésorerie intragroupe est un outil stratégique que les groupes malins ne négligent jamais.

A condition de savoir la manier juridiquement.

Nous vous prévenons : cette histoire peut paraître originale.

Elle a le mérite de vous interpeller sur un sujet qui (devrait) intéresse tout le monde : les conventions de trésorerie intragroupe.

Pour rappel : les conventions de trésorerie intragroupe existent à partir de deux sociétés et servent à justifier des flux financiers entre sociétés en les encadrant juridiquement. C’est un outil très important dans les groupes de sociétés tout en étant un sujet extrêmement sérieux car les conventions intragroupes font parties des rares exceptions au principe du monopole bancaire.

Place maintenant à cette histoire qui fera peut-être sourire les plus aguerris.

Herminie, associée d’une société tête de groupe a prêté 300.000 euros à cette société mère pour aider le groupe à se relever de la période post covid qui s’est avérée très difficile.

Tout est allé très vite, car la situation était urgente.
L’intérêt pour Herminie résidait dans le fait que le prêt était bien rémunéré (5,5 %). Pour le groupe, c’était une véritable aubaine : cela leur évitait de déployer trop d’énergie à frapper à la porte des banques et autres établissements pour obtenir des lignes de crédit ou un financement dilutif.

Aucune garantie n’a été prise par Herminie pour s’assurer du remboursement de sa créance. Le groupe dispose d’actifs solides pour rembourser cette somme et elle le sait.

C’est dans la précipitation que le virement a été fait et aucune convention de compte courant d’associé ni de quelque nature que ce soit n’a été signée avec les sociétés du groupe.

La société mère devait lui rembourser cet argent qui était inscrit en compte courant d’associé un an plus tard.

Pause définition :

En effet, lorsqu’un associé prête de l’argent à une société, la somme est inscrite en compte courant d’associé dans les comptes de la société. Pour la société, cette somme représente une dette que vous trouverez inscrite au passif du bilan comptable d’une société.

Lorsqu’un associé fait une telle avance, il est toujours recommandé de conclure avec la société, une convention de compte courant d’associé pour préciser noir sur blanc les conditions de cette avance. D’ailleurs, méfiez-vous toujours de ce que prévoient les statuts sur ce sujet.

*Un an plus tard*

Herminie demande le remboursement de sa créance.

Le dirigeant de la société mère qui est également le dirigeant de la société filiale décide de régler Hermine par l’émission de divers chèques tirés sur la société filiale.

Sur quel fondement se permet-il cela d’après vous ?

Evidemment, sur le fondement de la convention centralisée de trésorerie conclue préalablement entre les deux sociétés (mère et fille).

Dommage : plusieurs chèques reviennent impayés.

Encore plus dommage : les deux sociétés ont été successivement placées en liquidation judiciaire.

Herminie ne panique pas car elle connaît très bien la situation des sociétés et sait que la liquidation de la société filiale va permettre d’éponger ses dettes.

En revanche, la société mère a moins d’actifs et elle ne sera jamais en mesure de rembourser 80k euros.

Alors Herminie, avec le soutien du dirigeant des sociétés du groupe fait ce qu’elle doit faire : elle déclare sa créance au sein de la procédure collective sur la filiale (là où les chances de paiement sont largement plus élevées).

Pour eux c’est évident, la convention de trésorerie permet de transférer la créance de la mère sur la fille. Leur logique ? Puisque la société filiale finance la société mère grâce à la convention de trésorerie, on peut considérer que la dette repose in fine sur la filiale.

Sauf que cela ne plaît pas à d’autres associés qui ont bien compris le manège d’Herminie pour récupérer son argent sur la filiale (et donc diminuer les sommes qu’ils s’attendent à récupérer post-liquidation) et réagissent très vite avec l’aide de leur conseil.

Et ça ne passe pas auprès du liquidateur qui rejette l’inscription de sa créance.

La jolie lettre du dirigeant sur papier en-tête qui indique qu’il est autorisé à payer la dette de compte courant d’associé d’Herminie avec le compte bancaire de la filiale ne fait pas l’effet escompté.

La convention de trésorerie intragroupe ne prévoyait en aucun cas que la filiale devait payer pour sa mère. Pire, elle prévoyait l’inverse.

Herminie n’a pas pu faire admettre au passif de la filiale ses 80.000 euros qui sont définitivement perdus.

2. Le Temps technique : n’écrivez pas l’inverse de l’effet souhaité

L’article L. 511-7 du code monétaire et financier autorise les opérations de trésorerie entre les sociétés dépendant d’un même groupe.

Oui, il est possible d’envisager de transférer telle ou telle obligation de paiement d’une société à une autre.

Alors pourquoi cela n’a pas fonctionné pour Herminie ?

Dans le cas d’Herminie, voici comment l’article 6 de la convention de trésorerie était rédigé :

« Article 6 – Autonomie des parties

Chaque partie à la présente convention demeure juridiquement indépendante et conserve l’entière responsabilité de la direction, de la gestion et de l’exécution de ses propres obligations. En conséquence, la présente convention ne saurait être interprétée comme transférant une quelconque obligation financière d’une société à une autre. Chaque société s’engage à assumer personnellement ses engagements et dettes, sans recours possible contre les autres parties. »

Ici la convention stipule L’INVERSE du but recherché (se garantir du paiement en ayant plusieurs débiteurs ou s’assurer d’avoir le débiteur le plus solide) à savoir que les sociétés:

– restent totalement indépendantes

– continuent d’assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs responsabilités et de leurs obligations.

La convention de trésorerie a de nombreux avantages :

– elle régit les transferts de trésorerie entre les différentes entités d’un Groupe de sociétés et ce conformément aux dispositions de l’article 511-7 du Code monétaire et financier ;

– elle restreint le risque d’une qualification pénale d’une opération en abus de biens sociaux;

– elle est opposable à l’administration fiscale ;

– elle permet davantage de flexibilité quant à la gestion du Groupe ;

– si les sociétés souhaitent mettre en commun des bases de données clients ou prospects, la convention de trésorerie permet de prévoir les modalités et de rester conforme au RGPD.

Mais sa seule existence ne suffit pas à transmettre une obligation de paiement vers une autre société.

Pour transférer une obligation de paiement entre sociétés d’un même groupe, la convention de trésorerie doit expressément prévoir cette transmission.